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Antoine Mesnage, l'artiste du vide

Dernière mise à jour : 27 sept.

Antoine Mesnage est un artiste visuel dont la palette s’étend des sommets enneigés aux vallées profondes, capturant l’essence brute des montagnes à travers son objectif. Mais son art ne se limite pas à la photo ni à la vidéo, il trouve son expression la plus véritable dans l’équilibre précaire de la highline, un sport qui défie la gravité et invite à une méditation en mouvement au-dessus du vide. 

D’une simple sangle tendue dans le jardin de ses parents jusqu’à conquérir les hauteurs vertigineuses des Alpes, Antoine incarne une quête d’équilibre, qui dépasse le sport pour toucher à l’essence même de la vie. Portrait d’un artiste du vide.


Photos : Antoine Mesnage, Colin Olivero


Photographe et vidéaste spécialisé dans les sports de montagne, Antoine ne se contente pas de capturer la beauté de l’altitude, il en est un acteur principal, pratiquant avec passion la slackline et la highline depuis ses 16 ans. Un loisir qui ne l’a jamais quitté et qui a façonné son regard artistique, mais aussi sa perception de la vie et de ses défis. C’est dans un environnement montagneux, bercé par la passion de l’escalade transmise par son père, qu’Antoine découvre la slackline. « J’avais besoin de trouver mon sport à moi et j’ai découvert la slackline sur internet, un peu par hasard », raconte-t-il. Par slackline, entendez une sangle accrochée entre deux points fixes sur laquelle l’objectif est de marcher en équilibre. « C’est un terme un peu générique, comme le ski », précise Antoine. « On peut aussi décliner la discipline en highline, c’est-à-dire au-dessus du vide ou encore mettre une sangle très tendue et faire de la trickline. C’est l’avantage de ce sport, il y a différentes façons de le pratiquer ».


Comme beaucoup, Antoine a commencé sur une slackline puis progressivement, son engagement et sa progression rapide l’ont invité à prendre plus de hauteur et à s’orienter définitivement vers la highline. « Je me souviens que ma première ligne, j’étais attaché et suspendu au-dessus du vide. C’était chez mes parents, entre le balcon et un arbre en face. Et puis, au fur et à mesure, avec des copains, on est montés un peu plus haut jusqu’à finir en montagne ». Cette passion débordante, à une époque où le sport était encore à ses prémices en France, a marqué le début de son engagement dans une communauté de passionnés, dont il fait partie de la première génération. Aujourd’hui, il compte à son actif plusieurs dizaines de voies ouvertes autour d’Annecy, ce qui en fait une véritable référence dans la région, même s’il se montre modeste sur son statut de pionnier, préférant dire qu’il a contribué au développement de la pratique.


Un défi psychologique


« Marcher sur une slackline au parc, j’adorais ça. J’en faisais plusieurs fois par semaine et ensuite, j’ai progressé assez vite au-dessus du vide parce que techniquement j’avais déjà ces compétences. Et j’aimais beaucoup cette notion du vide ». Sa première highline : une ligne de 8 mètres de long et 50 mètres de haut au Parmelan, à Annecy. « Il faut savoir que la slackline au sol est plus dangereuse que la highline où on est attaché donc il y a très peu de risques. L’engagement est mental, il faut surpasser ses peurs ». Le défi est psychologique. Une concentration sans faille, un corps porté par une adrénaline incomparable. Une sensation si particulière. « En highline, la peur, c’est juste ton cerveau et toi-même », explique Antoine. « Les sentiments sont décuplés donc si tu ne te sens pas bien, que tu es triste ou stressé, ce stress va être décuplé lorsque tu es sur la ligne. Au contraire, si tu es relâché dans le corps et dans l’esprit, ça sera beaucoup plus facile ».


“ Il y a une expulsion des pensées et des sentiments qui est assez intense “

Antoine révèle avec candeur l’intensité émotionnelle et mentale qui accompagne chaque traversée en highline. Les émotions vécues en équilibre au-dessus du vide sont amplifiées, transformant chaque expérience en un miroir grossissant de l’état intérieur. Bien plus qu’un défi physique, la highline exige une présence mentale absolue. « Il y a une expulsion des pensées et des sentiments qui est assez intense sur ce genre de sport parce que le cerveau est beaucoup sollicité. Et en général, il est fréquent d’expulser des émotions à la fin d’une traversée ou pendant. Par exemple, ça m’est déjà arrivé de pleurer au bout d’une ligne parce que je m’étais tellement concentré et j’avais tellement fait le vide dans ma tête, que d’un coup, tout ressort. C’est très intéressant comme sensation ». C’est aussi ce qui montre la complexité et la beauté de la discipline, où le fil tendu entre deux points devient le terrain d’une lutte intérieure, un espace où le corps et l’esprit doivent être en parfaite harmonie pour avancer.


De ce constat, Antoine en tire une expérience personnelle. À l’été 2023, sur le plateau de Cerise, en Haute-Savoie, il s’élance sur une ligne d’un kilomètre de long. Son record. « J’ai fait une première traversée d’environ 1 heure que j’ai réalisée sans tomber donc j’étais super content parce que je me suis bien battu. J’ai beaucoup donné mentalement. Le lendemain, je retourne sur la ligne sans pression. Et au bout de 50 mètres, je n’en pouvais plus. Physiquement j’étais présent mais mentalement, je n’avais plus envie de me réengager dans une grande traversée. C’est là que je me suis rendu compte que la tête est très importante et qu’elle peut me stopper net ».


« Je suis un éternel peureux. J’ai peur de tout »

Pour le commun des mortels, la pratique de la highline procurerait avant tout un sentiment de peur. Antoine aborde justement la complexité de sa relation avec la peur, révélant une introspection profonde sur ce sentiment souvent évité. Contrairement à l’image que l’on pourrait se faire d’un pratiquant de highline, il s'identifie comme quelqu'un de naturellement craintif, un trait qui, forcément, transcende son quotidien. 



« Il faut savoir que je suis un éternel peureux. J'ai peur de tout. Je fais énormément de ski et j'ai très peur des avalanches. Je ne roule pas très vite en voiture. Je ne suis pas un fou dans ma tête et je suis assez prudent ». Il distingue la peur éprouvée en highline comme une forme de peur désirée, rationnelle et, surtout, maîtrisée, à l'opposé des dangers imprévisibles de la vie courante. Pour lui, la highline devient un espace où la peur se transforme en un dialogue intérieur, un contraste marqué par l'absence de facteurs externes imprévisibles. « Il y a énormément de dangers qui ne sont pas maîtrisés parce qu'ils peuvent venir des autres. C'est pareil si tu vas en montagne et que tu te prends une avalanche sur la tête, tu as beau être formé, tu peux toujours te faire avoir. Et même sur la pratique de la highline en free-solo donc sans les sécurités, le risque est extrême mais la gestion de la peur est propre à soi et il n'y a pas de facteur externe, hormis une grosse bourrasque de vent ou un frelon qui vient te piquer pendant la traversée ».


Le free-solo est une autre déclinaison de la highline, moins pratiquée mais beaucoup plus engagée. À une certaine époque, Antoine pratiquait sa discipline sans sécurité. « J'ai dû faire une trentaine de traversées en free-solo dans ma vie. C'est quelque chose que j'aimais beaucoup. Je n'ai jamais ressenti quelque chose d'aussi puissant mentalement. Personnellement, ça m'a fait énormément de bien. Ça m'a permis de grandir, de prendre confiance en moi. Après ce n'est pas une fin en soi dans le sport, c'est presque davantage une démarche artistique et spirituelle. Mais il faut être prêt à y dédier sa vie et être mentalement à 100 % dedans ». S'il avoue ne plus pratiquer le free-solo, Antoine y a tout de même trouvé une opportunité de croissance intérieure, une compréhension plus profonde de sa personne à une période de sa vie où il cherchait des réponses.


Si le mental joue un rôle prépondérant dans la pratique de la highline, le corps, lui aussi, est mis à rude épreuve. Il existe alors une interconnexion profonde entre le mental et le physique. « Si tu n'es pas bien dans ta tête, tu vas compenser avec le corps donc bouger les épaules, être crispé et finir lessivé mentalement et physiquement. À l'inverse en étant zen, tu vas rester souple et moins te fatiguer même si ça reste quand même un sport de gainage où il faut être entraîné physiquement ». Cette dualité souligne l'importance d'une préparation physique cruciale où le cerveau n'est pas le seul facteur déterminant.


Le côté artistique de la highline


Si la highline a profondément influencé Antoine sur le plan personnel, elle l'a aussi orienté professionnellement. Elle est devenue, au fil du temps, un moyen d'expression artistique et un fondement de son identité. « Ce sport m'a apporté une valeur ajoutée en tant que photographe. Ça m'a aidé dans un monde où les réseaux sociaux sont très importants pour des métiers indépendants de photographe et de vidéaste, d'avoir sa propre identité qui sorte un peu du lot, ça permet de se faire connaître. Ça permet d'avoir ma petite touche perso et d'être crédible dans l'univers de la montagne où, il faut le dire, c'est important de l'être ».


“ C’est le sport qui exprime le mieux les choses simples de la vie “

Plus qu'un sport, la pratique de la highline est devenue pour lui une source d'inspiration intarissable qui a pu donner lieu à de nombreux projets artistiques. Pour Antoine, la discipline est une métaphore puissante de la vie, où chaque traversée incarne une quête d'harmonie et de beauté. « Selon moi, c'est le sport qui exprime le mieux les choses simples de la vie. Il y a cette notion d'équilibre qui est évidente dans la highline qui finalement résume bien la vie de tout le monde, même quelqu'un qui ne fait pas de sport ou qui n'habite pas dans une région montagneuse. Quelqu'un qui marche sur un fil en essayant de garder son équilibre et qui va d'un point A à un point B, c'est un message très fort, et qui me parle personnellement. Dès le début, je me suis rendu compte qu'il y avait quelque chose d'incroyablement esthétique dans ce sport et c'est ça qui m'a énormément plu. J'aime les belles choses et c'est un sport qui est très facilement esthétique ».


C'est donc en quête d'équilibre, sur une ligne suspendue entre ciel et terre, qu'Antoine a façonné sa propre personne. Sa détermination à défier les limites physiques et mentales l'a propulsé vers des sommets tant littéraux que métaphoriques. Aujourd'hui, plus qu'un artiste du vide, c'est un homme qui a su trouver sa voie. Là-haut, entre les cimes.


Photos : Antoine Mesnage, Colin Olivero


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